55: KENDRICK JUST DROPPED

Vendredi soir dernier, Kendrick Lamar a sorti un album surprise. GNX. Sur la cover, le roi de Compton nous toise, adossé à une voiture : la Buick Grand National Experimental ou GNX, voiture élue la plus rapide de 1987, son année de naissance. Le message est clair : le rap lui appartient. Il est chez lui. L’auto-proclamé Top 1 du rap US confirme qu’il a bien les épaules pour occuper son rang. 

Par Coline LEROY, Courtesy of ©pgLang

Entre la claque de Damn (2017) et la maturité de Mr. Morale & the Big Steppers (2022) s’était écoulée une période de 5 ans. 5 ans pour sortir un projet, c’est long. Très long. Même pour un rappeur ultra confirmé dans une industrie musicale toujours plus avide de contenu et toujours plus rapide, où l’émergence de nouveaux talents est perpétuelle. Une chose est sûre :  Kendrick Lamar a toujours éduqué ses fans à la patience. Il a choisi de s’émanciper des calendriers de sortie traditionnels pour ne pas perdre son intégrité artistique ; et pour un résultat qui déçoit rarement, tout le monde est prêt à l’attendre. Alors la sortie de GNX est une surprise totale mais providentielle pour les Grammys 2025 et pour le Superbowl de Lamar planifié pour février.

GNX se compose de titres très différents les uns des autres, toujours preuves de la virtuosité et de la diversité de Kendrick Lamar, mais dont la cohérence ne peut être ignorée. GNX est autant une lettre d’amour qu’une déclaration de guerre. Et j’ai quelques coups de coeur très personnels.

 

Parlons-en. 5 lines pour 5 thématiques.

Kendrick Lamar, GNX, ©pgLang

Walk in New Orleans with the etiquette of LA, yellin’(tv off, featuring Lefty Gunplay)

Kendrick déclare son amour à ses origines comme il l’a toujours fait et sait si bien le faire.

Dans « tv off », il évoque son amour pour la Californie et brandit fièrement sa bannière. La Nouvelle Orléans est la ville qui accueillera son SuperBowl en février 2025 et Lamar annonce d’office que sa performance sera un hommage à ses racines californiennes. Sur GNX, il convoque évidemment des grands de Los Angeles : Dody6, Wallie the Sensei, Hitta J3 ou encore Roddy Rich. Lamar réaffirme également son admiration pour Tupac, l’homme qui a mis LA sur la carte du rap, en faisant référence à l’un de ses célèbres poèmes  “The Rose That Grew From Concrete” dans « luther ». Encore un clou enfoncé dans le cercueil de Drake, qui lors de leur beef extrêmement médiatisé avait manqué de respect à Tupac et son héritage. Lamar avait déjà répondu dans « Not like us » en l’avertissant que la Californie ne le laisserait pas salir le nom de Tupac et lui fermerait ses portes.

Bref, Kendrick déclare son amour et part en guerre pour défendre ceux qui lui sont chers.

 

"I’m reincarnated, rewriting stories they fabricated" (reincarnated)

Kendrick explore ce qui le lie à ses prédécesseurs tout en réfléchissant à la manière dont son propre héritage est façonné.

Dans « reincarnated », il s’exprime sur les interprétations parfois erronées de son travail et de ceux qui l’ont précédé. Son hommage se double d’une réflexion sur sa légitimité d’artiste. Kendrick Lamar veut souligner et affirmer qu’il est la somme de ses inspirations et de ses mentors mais qu’il est aussi le pur produit de son individualité. Il en profite pour tirer sur les nouvelles générations de rappeurs qui délaissent leur liberté créative au profit du profit, dans une industrie qui demande toujours plus.

Kendrick Lamar, GNX, ©pgLang

"My woman and my right hand, my saint and my sin

Ain’t no bitch like my bitch, ‘cause that bitch been my pen” (Gloria, featuring SZA)

Kendrick Lamar, c’est un peu un lover en vrai. Et il n’y a rien qu’il n’aime plus que sa femme et sa plume. Dans Gloria, Kendrick déclare sa flamme à sa femme : Whitney Alford, mère de ses enfants et soutien de la première heure. Il y raconte des périodes complexes de sa vie, adoucies par la présence de Whitney : la mort de sa grand-mère Estelle, mais aussi son enfance tumultueuse gangrénée par les gangs de Compton. En parallèle, Lamar raconte son amour pour sa plume et le compare à celui pour sa femme, parfois mêlant les deux métaphores. Il raconte avoir rencontré l’amour de l’écriture quand il était ado sous un porche, et la personnifie au point de la tenir par la taille. On en arrive à ne plus trop savoir s’il parle de Whitney ou du rap, et c’est bien ça le sujet.

 

“Losses to the neck, but now I’m trophied up, I’m sayin’, like

Bing-bop-boom-boom-boom-bop-bam” (peekaboo, featuring AzChike)

GNX est un victory lap (tour d’honneur). Kendrick Lamar découpe. Il découpe les prods somptueuses de Jack Antonoff (Taylor Swift, Lana del Rey), Sounwave et Mustard (MUSTAAAAAAAARD). Il découpe ses textes. Et il découpe Drake.  

Le fight le plus médiatisé de la décennie. Drake vs Kendrick Lamar.

Leur beef n’a pas réellement connu de fin, puisqu’aucun des deux rappeurs ne s’est formellement incliné. De toute manière, quand on se fait diss comme Drake l’a été sur «Not like us», il n’y a pas vraiment d’équivoque. Surenchérir paraît bien illusoire. Le monde s’est rangé du côté de Lamar après qu’il ait accusé Drake de pédophilie et d’avoir un enfant caché (entre autres), le tout de la manière la plus Kendrick possible : avec style. GNX est une manière d’enfoncer le clou une dernière fois, dans le cercueil du rappeur canadien mais aussi de dénoncer les travers de l’industrie musicale, ses abus et son impunité. 

Kendrick Lamar, GNX, ©pgLang

“Keep my name by the world leaders

Keep my crowd loud in Ibiza” (man in the garden)

Dans GNX, Kendrick Lamar assoit un peu plus son statut de méga star du rap. Non seulement sur ses pairs, mais aussi dans la culture et l’histoire contemporaine. Dans man in the garden, Lamar détaille pourquoi chaque part de son succès est méritée et s’attarde sur la reconnaissance qu’il a gagné au fil des années en dehors de la musique : celle en politique, comme humaniste et artiste engagé. Lamar le dit sans honte, son nom est dans les bouches d’hommes de pouvoir, de leaders du monde parce que sa musique transcende la musique et s’inscrit dans l’ordre du social. Pour rappel, Kendrick Lamar est le seul rappeur a s’être vu discerner le prix Pullitzer qui est d’habitude réservé aux journalistes et hommes et femmes de lettre pour son travail de sensibilisation par le rap.

En bref, GNX tombe après le beef initié par Lamar pour tuer la narrative du BIG 3 du rap US (Drake, Lamar, J.Cole), narrative qu’il a tué pour la remplacer par celle du “Big lui”, notamment en enterrant la carrière de Drake. Avec cet album, Lamar affirme cette position de leader en se reconnectant à ce qu’il fait de mieux et à sa zone de confort: du très très très bon rap. 

Par Coline Leroy, 22 novembre 2024