CHANN AGLAT

J’ai été introduite à Chann Aglat il y a un an et demi, on avait déjà un peu parlé d’elle à l’époque. Elle avait 21 ans, venait de sortir, diplôme en poche, des Ateliers Chardon-Savard et traversait une phase de questionnements. Qu’allait-elle faire ? Comment transforme-t-on un diplôme en métier ? Comment transforme-t-on une vocation en voie ? Où allait donc mener son chemin ?

Par Coline LEROY, vue par Manon GUILBERT et Romane LAFOSSE-MARIN, avec l’aide de Maëlle TREUILLÉ

Décembre 2024, j’ai finalement la réponse. Dans un petit café du 9ème arrondissement, Chann me déroule sa vie, son quotidien et m’explique ce qu’elle fait : costumière. Tantôt habilleuse, tantôt assistante ou cheffe. Tantôt pour les planches, tantôt pour les salles obscures.

Au commencement, il y avait Chann Aglat, enfant-comédienne et puis cet appel entêté de la mode. Quand il a fallu choisir, Chann a opté pour un subtil mix des deux. Costumière. L’un des nombreux métiers de l’ombre qui permettent à un film ou une pièce d’exister. Qui permettent aux artistes d’attirer un peu plus la lumière.

Le secteur n’est pas forcément évident, comme tous les métiers des industries créatives finalement. Il faut savoir cultiver le réseau, comprendre où sont les opportunités. En un an et demi d’activité, les projets qui ont le plus marqué Chann sont les films. « Le trésor de Kheops » avec Fabrice Luchini et « Chers Parents », adaptation d’une pièce de théatre à succès. Et puis il y a la scène et le spectacle vivant, notamment avec Penelope Ogonowski qui collabore régulièrement avec Yoann Bourgeois. Un projet à la Seine Musicale, le passage de la flamme au Panthéon pour Paris 2024 et maintenant une production en Suisse.

Chann Aglat par Romane Lafosse-Marin et Manon Guilbert

Coline Leroy : Est-ce que tu pourrais nous expliquer ce que fait une costumière ?  

Chann Aglat : Ça dépend du projet pour lequel on travaille. Au cinéma, il y a toute une période de préparation qui dure en général 5 semaines pour des projets classiques. On supervise tous les achats ou les potentiels prêts. Il y a aussi beaucoup de locations. On va dans des grands hangars de costumes, on fait notre tour, nos devis puis ensuite viennent les essayages avec les comédiens. Sur la partie tournage, on vérifie que tout soit raccord et soit okay pour tout le monde : les comédiens, le réalisateur, le chef costumier, le maquillage, le script etc. On vérifie que tout soit là, que rien n’a été oublié pour pallier aux petits imprévus. Il y a toujours un bijou qui saute, un sac à main qui est laissé sur un canapé, etc. C’est beaucoup d’anticipation et maintenir une uniformité général pour que tout soit cohérent.

CL : Je pense que dans l'imaginaire commun, on pense que les costumières font tout à la main. Il n'y a pas du tout cette partie de frais, cette partie location qui rentre en jeu.

CA : C’est surtout au cinéma. Pour la danse, je fabrique parfois tout. Au cinéma, il y a pleins de costumières qui ne cousent pas, qui donnent seulement des pistes, dessinent, font des planches d’inspiration. Pour elle, la trouvaille, c’est de la trouvaille d'achat, c'est la trouvaille boutique. Chaque cheffe costumière a sa culture du vêtement, qui est souvent très niche.

CL :  Donc il y a des sortes d'empreintes personnelles qui se retrouvent chez les costumiers qui travaillent beaucoup avec certains réalisateurs en particulier ?

CA : Exactement, certains ont leur propre culture et on ne sait pas du tout, à moins de travailler dans le milieu et d'être bien au courant de tout ça.

Chann Aglat par Romane Lafosse-Marin et Manon Guilbert

CL : Qu’est-ce qu’il faut selon toi pour être costumier ?

CA : Avoir le goût de l’humain déjà. On travaille avec le corps des artistes et ce sont leurs outils de travail donc il faut être délicat. Il y a des comédiens qui n'aiment pas du tout qu’on les touche. Donc il faut beaucoup de diplomatie, de confort, de soin. Le petit truc que j'aime bien, c'est que ce qu'on voit aux loges, personne ne le voit. Il y a des comédiens qu'on habille des pieds à la tête, des chaussettes au slip. Et il y en a d'autres qui vont plutôt nous parler de leur petits problèmes, de leur petit porte- bonheur qu’il faut avoir sur eux. Puis il y a ceux qui préfèrent telle manière de mettre les chaussettes. Il y a pleins de tocs. Quand on aime bien l'humain, il y a d’autres apsects plus intimistes qui entrent en jeu.

Et puis il faut être patient. Tout est changeant. Tu peux attendre très longtemps entre les prises par contre, au moment où on a besoin de toi, il faut être très réactif. Tu peux ne peux rien faire de la journée et puis tout à coup, tac, c'est à toi.

Il faut également aimer aimer le contact humain. Si on n'aime pas les gens, on ne les traite pas bien. Les comédiens ne sont pas heureux, les danseurs ne sont pas heureux.
Et puis il faut de l’humilité. Il y a des réalisateurs qui arrivent avec des propositions qui parfois ne fonctionnent pas. Le boulot du chef costumier, c'est aussi de dire « Je vois très bien ton idée, c'est une très bonne idée, mais moi j'ai mieux ».

Chann Aglat par Romane Lafosse-Marin et Manon Guilbert

CL : Est ce que un jour, ça t’intéresserait d'exporter tes talents à l'étranger, à l'international ? Chez des gros monstres comme Hollywood?

CA : Je sais pas si Hollywood me tenterait, mais peut-être une fois pour avoir des réponses à mes questions. Ils ont des productions qui sont beaucoup plus riches que les nôtres, ça doit être très intéressant. Le cinéma français est très codifié. Le cinéma américain, j'imagine même pas. Je pense que ça m'intéresserait plus de bouger pour de l'opéra, du théâtre et aller faire une saison à Londres par exemple ou une saison en Suisse.

CL : Un metteur en scène, une structure pour lequel tu adorerais travailler plus tard ?

CA : J’ai toujours rêvé de travailler pour l'opéra. Peut-être pas un « Lac des Cygnes », peut-être un ballet contemporain. Il y a quand même des grands classiques. Tous les Casse-Noisette, les Belle au Bois dormant. Tout ça, c'est génial. Ou un film d’époque !

CL : Si t'avais pu travailler sur un film d'époque en particulier ?

CA : Marie-Antoinette.

CL : De Sofia Coppola ? 

CA : Oui !

CL : Comme elle a cette approche relativement moderne de Marie-Antoinette, ce n’est pas la première réponse à laquelle je m'attendais.

CA : Ouais mais ça marche tellement bien en fait. J'ai des tableaux en tête, où elle mange ses macarons, il y a une espèce d'énorme banquet. Le truc est hyper marquant, un peu érotique dans le culinaire, et tout est débordant. Je pense que c’est justement l’excès dans le costume que j’aimerais explorer.

 

En attendant de voir Chann aux côtés de Sofia Coppola (et c’est tout ce qu’on lui souhaite!), on est très contents de l’avoir chez Somare!

Par Coline Leroy, 17 décembre 2024