JAKMAN
"J’ai découvert un jeune artiste peintre nommé Jakman, j’aime beaucoup ses tableaux’’, “et puis il est d’origine Manjak comme nous !’’ m’écrit mon père un beau matin, accompagné d’un lien Instagram. Curieuse, je clique. Je regarde. Moi aussi — j’aime beaucoup !
Par Arketa PREIRA, vu par Inès KARA
Sur le compte, beaucoup de ses œuvres. Toutes vibrantes. Jakman nous transporte dans des soirées disco pleines de strass et de paillettes, puis nous ramène aux racines : l’exil de ses parents, la traversée de ses ancêtres du Sénégal à la France, en quête d’un avenir nouveau. Des couleurs omniprésentes, du bleu, du rouge, le tout mêlé aux grondements du métro. Des gants de boxe, de la bagarre et puis toujours des personnes noires. Jakman surgit, partout. Indissociable de son chapeau, le cow-boy de notre ère insuffle à ses œuvres l’esprit du western : grands espaces, silhouettes de desperados et une aura de conquête dans laquelle le Sénégal reste une ancre, toujours là, sous-jacente — univers où traditions africaines et légendes du Far-West se répondent avec audace.
Un détail frappe dans ses œuvres : les personnages n’ont pas de visage. En revanche, il soigne méticuleusement les tenues vestimentaires de ses figures, estimant que le style raconte autant que les traits : un manteau peut traduire la fierté, un bagage à main pour dire le voyage. Ce langage subtil des habits devient un moyen de rendre palpable ce qu’on ne voit pas.
Au cœur de ses créations, un personnage principal : lui-même. Jakman évolue dans une histoire au fil de ses toiles, où chaque tableau ajoute un chapitre à cette épopée personnelle, entre l’héritage familial et ses propres aventures. Parfois joyeux, parfois empreints de mélancolie, ses tableaux saisissent des émotions complexes, des moments suspendus — où tout est histoire, tout est mouvement, tout est vivant.
Je m’abonne. Il apparaît dans mon feed tantôt peintre tantôt pécheur — et cette simplicité, cette quiétude, contraste avec sa vie d’artiste — forcément, on a voulu en savoir plus ! Et quoi de mieux qu’une interview chez SOMARE pour en apprendre d’avantage sur le cow-boy le plus inspiré de la grande ville ?
Jakman par Inès Kara
Arketa Cézanne : Je te laisse te présenter : nom, âge, et tu fais quoi dans la vie ?
JAKMAN : Moi, c’est Jakman, j’ai 25 ans et je suis artiste peintre.
AC : Comment tu as découvert ta passion pour la peinture ?
J : Depuis tout petit, je dessine. J’ai toujours aimé regarder les dessins animés et les mangas, ça m’a donné envie de créer mes propres histoires ! Je n’étais pas très scolaire et je préférais dessiner dans mes cahiers de cours… Un jour, j’ai dû choisir une orientation. Je ne savais pas où aller, mais mon frère m’a donné l’idée de passer un concours dans un lycée d’art — je me suis dit “pourquoi pas” ! J’ai passé le concours, j’ai été pris, j’ai commencé à en savoir plus sur l’art. J’ai pu essayer la céramique, la mosaïque — mais mon truc, c’était plus le dessin et les illustrations.
À côté de mes études, j’ai dû trouver un stage en rapport avec l’art. J’ai bossé en galerie en tant que régisseur et à force de côtoyer les artistes de cette galerie-là, ça m’a motivé à poursuivre là-dedans.
AC : Est-ce qu’il y a un moment, un artiste ou une œuvre en particulier qui a marqué un tournant dans ta carrière artistique ?
J : Je pense que c’est ma première œuvre. Je l’ai faite parce que j’avais une rage de dents et j’avais besoin d’évacuer ma douleur. Pour extérioriser, j’ai réalisé une toile avec un cow-boy qui se tenait la joue — et je l’ai appelée Rage de dents ! Sinon, mon père regardait beaucoup de Western et les personnages voyageaient seuls de villes en villes — j’ai toujours trouvé que le personnage du cow-boy était très libre. D’où mon chapeau de cow-boy et le style de mon personnage.
AC : Du coup, tu as un western à nous conseiller ?
J : Django, ou Il était une fois dans l’ouest, c’est celui qui me plaît le plus !
Jakman par Inès Kara
AC : Quelles sont tes principales influences ? Celles qui nourrissent ton travail ?
J : Je dirais ma famille ! Plus le temps passe, plus le personnage que je crée ressemble à mon père. Et ça, je le fais inconsciemment. Pourtant, mon père et mon personnage ont une histoire similaire. Le personnage quitte son pays pour venir en France et c’est ce que mon père a fait lui aussi. Sinon il y a les films que j’ai vus, les couleurs que je vois dehors. C’est très visuel, et je reproduis les choses qui m’ont marquées sur la toile, mais parfois, je ne me souviens pas d’où ça vient. Je m’inspire de tout et n’importe quoi !
AC : Parlons mode : on voit qu’il y a une ressemblance entre tes looks et ceux de tes personnages — qui s’inspire de qui ?
J : C’est moi qui m’inspire de mes personnages. Déjà que mes personnages n’ont pas de visage, c’est compliqué de comprendre ou de capter une émotion dessus. Tout le monde peut l’interpréter comme il veut. Le fait de les habiller d’une certaine façon, ça donne une allure et une émotion plus palpable et universelle qu’on peut partager. Comme je suis une personne assez réservée et timide, habiller mon personnage comme je le veux me permet de moi-même m’habiller comme mes personnages. Au début, je n’osais pas m’habiller comme mes personnages, par exemple le manteau en fourrure. Mais je me dis que s'ils peuvent, je peux aussi !
AC : As-tu un rituel particulier avant de commencer à créer ?
J : La première chose est le croquis. J’ai une image en tête et il faut que je la mette sur papier. Une fois que c’est mis sur papier, je fais des ajustements et plusieurs autres croquis. Ensuite, je mets ma musique et j’y vais direct. En musique bien sûr, en ce moment, j’écoute plutôt de l’Afro-beat.
AC : Tu ressens quoi quand tu peins ?
J : Ça dépend de la toile, mais la plupart du temps, j’ai juste hâte de montrer la toile et de voir à quoi ça ressemble une fois fini. Mais surtout, ça me permet d’évacuer les pensées tristes ou négatives que je peux avoir. Une fois que j’ai pu déposer mes pensées sur la toile, je me dis que je n’ai plus à les garder dans ma tête et que je peux passer à autre chose. C’est une thérapie en fait.
AC : Est-ce qu’il y a une émotion en particulier que tu souhaites transmettre ?
J : De la joie, car ce monde est souvent trop triste. C’est pour ça que je mets beaucoup de couleur. Mais après les gens interprètent comme ils veulent. Comme il n’y a pas de visage, on ne peut pas savoir si les personnages sont tristes, joyeux, apeurés…
Jakman par Inès Kara
AC : Quelle réaction face à l’une de tes œuvres t’a le plus marquée ?
J : Je dirais la réaction de mon père. Il a découvert tard que je faisais de la peinture, et je commençais à me faire connaître sur Paris. Le fait qu’il soit venu à ma première exposition, c’était juste incroyable, car je vois rarement mon père sourire. Mais ce jour-là, il a souri devant une de mes œuvres. Ça m’a fait trop plaisir ! Et pour ma dernière exposition, il m’a dit qu’il était fier de moi — c’était encore plus incroyable. Mais j’aurais peut-être préféré qu’il ne le dise pas pour que j’ai encore plus la niaque !
AC : Comment vois-tu l’évolution de ton art dans les prochaines années ?
J : Je vais commencer à changer de technique. Actuellement, je travaille uniquement avec de l’acrylique, mais cet été, j’ai beaucoup pratiqué le pastel gras. Et sinon peut-être passer à l’huile, mais je n’ai pas encore la patience pour cette technique ! Pour les thèmes et sujets, je prépare ma prochaine exposition et je souhaite parler de la femme. C’est une exposition que j’ai toujours voulu faire. Pour le reste, ça sera en fonction de mon évolution personnelle !
Voila, plus qu’a poster l’interview sur SOMARE, mais personnellement, j’attends surtout sa prochaine exposition pour (re)découvrir la femme, vue par Jakman.
Par Arketa Preira, 19 novembre 2024