Kanou, rencontrée et racontée par Antoine Gardy

Par Antoine Gardy, vu par Inès kara

“Kanou, flutiste, pianiste, artiste et tout ce qui se termine en -iste, est une nouvelle arrivante dans le monde musical francophone.”

J’ai dix-sept ans, je suis posté devant la glace, les yeux froids, la main qui panique. Je suis moche, ou plutôt, je me trouve moche.

-« Arrête Antoine, tu es très beau, qu’est-ce que tu vas encore chercher ? » lance alors ma mère, agacée car son mari n’est pas encore rentré du boulot et qu’il lui laisse à gérer deux ados en pleine poussée d’acné

Que disais-je déjà ? Ah oui, je me trouve moche donc, un peu trop gros, le nez pas assez fin, la mâchoire pas assez carrée, dessinée, le corps est trop long, étonnement démesurée si bien qu’on le croirait tout droit sorti d’un cabinet des curiosités. Aussi loin que remonte ma mémoire, je ne me suis jamais trouvé beau. Singulier tout au plus, mais pas beau. Les complexes à la pelle donc, qui perlent sur la manche du manteau et traînent dans le fond des verres épais de mes lunettes de myope – que j’ai aujourd’hui troqués pour des lentilles, celle qui piquent après les avoir gardées douze heures. En bref. De ces complexes, j’en garde des traces aujourd’hui. Le métro gronde sous mes pas. Un enfant crie. Il me fatigue cet enfant. Je souffle, je râle et me mets à lancer des regards désespérés à la mère, semblant bien plus occupée sur son téléphone. Je m’apprête alors à jouer les Pascal les grands frères quand tout à coup, une musique retient mon attention. Je ne l’appellerais pas non plus « l’appel divin », car je flirte toujours avec le blasphème – il faut être prudent avec les cathos. Une musique donc, singulière elle-aussi ; une sonorité toute particulière, « chaloupée » (Oui, c’est le premier mot qui me vient). Les paroles s’en vont sur une mélopée atypique, gaie, légère. Le titre ? « Refaire ». Sur la pochette d’album se dessine une grosse oreille à la Philippe Katherine. Refaire évoque les complexes, les années de sévices terminées, la liberté du corps, enfin.

Lyon, le 30 juillet 2024

Ella, mon chat, miaule. Elle a faim. Je cours dans l’appartement, attrape le paquet de croquettes en regardant ma montre : je suis en retard, mince. Des croquettes tombent sur le sol, je me fracasse un pied sur la nourriture du félin quand, soudain, mon téléphone sonne. C’est Kanou. Elle a donné son accord pour une interview. Ella attendra.

-Peux-tu de présenter en quelques mots ?

-Autrice-compositrice-interprète !

Kanou, flutiste, pianiste, artiste et tout ce qui se termine en -iste, est une nouvelle arrivante dans le monde musical francophone.

-Depuis toute petite, je fais de la musique. Ca fait quelques années que j’essaie de composer et d’écrire. C’est quelque chose que j’avais du mal à faire, et depuis quelques années, je sais pas, c’est beaucoup plus naturel, je me sens plus à l’aise. j’ai commencé à être convaincue par les histoires que je racontais dans mes textes. J’ai rencontré des musiciens avec qui je joue en live, j’ai fait des formations. C’est beaucoup de rencontres sur les clips, le design… Toutes ces rencontres m’ont aidée.

« Refaire » est sa première chanson. Intime, engagée, la chanson aborde avant tout les complexes et l’acceptation de soi.

-C’est une chanson qui parle d’un complexe personnel. Moi, ce sont mes oreilles décollées. Mais beaucoup de gens s’identifient, on a tous des complexes, on se crée des blocages à cause de ça. En grandissant, j’ai compris que ça n’avait pas vraiment de sens. On pense toujours que le regard des autres n’est pas forcément bienveillant, mais la plupart des personnes est bienveillante. Si on assume notre complexe, il ne sera plus un sujet pour les autres. La phrase du refrain m’est venue naturellement « Pourquoi me faire refaire », puis le reste est venu. J’ai voulu quelque chose d’ensoleillé, de brésilien pour fêter la fin des complexes.

-Cette chanson t’a aidé à surmonter ce complexe ?

-Le complexe était globalement parti. Mais quand je l’ai chantée devant les autres, ça m’a forcé à assumer.

Kanou nous emmène avec elle dans un style pop, libéré et léger. De ses influences jazz à Fugain, Barbara ou Berger, sa musique emprunte aussi à un certain Philippe Katherine, où simplicité rime avec efficacité. La famille, c’est sacré pour Kanou. La musique dans les veines, toute la famille se retrouve autour d’un piano.

 -Quand on se retrouve, ça part en concert improvisé. La musique est un lien très fort. On joue toujours de la musique ensemble. C’est très festif. Petit-à-petit, je me suis mise au piano, à la flûte et au chant. Ça a été une grande école de la scène : on se produisait avec mon père dans des bars, devant des amis…

-Ton instrument fétiche ?

-Le piano, c’est idéal pour composer ! Mais j’aime beaucoup la flûte… C’est un instrument que j’ai appris de manière classique, et que je trouvais un peu ringard. Je réapprends à aimer la flûte traversière. C’est un instrument avec plein de sonorités… Brésiliennes, Jazz… C’est un instrument qui s’adapte à différentes musiques.

Son deuxième single, « Train de nuit », sent le départ, les larmes contre la vitre du train et l’éloignement d’un amour incertain.

-Trois musiques pour un date réussi ?

-”The more I see you”, “Siesta freestyle” et “It runs Through Me" ! Ce sont des chansons d’amour légères, pas trop gnangnans… J’aime bien !

 -Trois musiques que tu emportes sur une île déserte ?

-C’est dur ! Je dirais « Le Sud », j’ai pas mal de souvenirs de famille, c’est la première chanson que j’ai chantée. Je prendrais aussi « Solidarités » de M. et… une dernière ? «Hématome» de l’Impératrice.

-Si tu n’avais pas été chanteuse, quel métier aurais-tu fait ?

-Je suis ingénieure de base ! Mais si je devais choisir une 3e profession, ce serait gérante d'une grande résidence d'artistes à la campagne pour accueillir et accompagner la création de musiciens, danseurs, comédiens...

 Encore une question, une dernière. J’ose lui demander son feat idéal. Elle soupire, puis rit : «  C’est dur ! Mais je dirais Philippe Katherine, dans son univers décalé il sait faire rimer simplicité et efficacité ».  

Dans l’appartement, Ella miaule. L’appel du ventre. Je la regarde, souris bêtement. Un dernier rayon de soleil s’abat sur ma vitre. Je me dis que ce soir, les complexes n’auront pas toujours raison, et qu’ils savent se taire quand on monte un peu le son.

 

Antoine GARDY, 4 octobre 2024