LE PETIT PRINCE PAR LA CIE ROSAROSÉ
Il y a quelque chose chez le Petit Prince qui transpercera toujours les âges et les générations. Une question d’universalité et de philosophie. Car n’est-il pas vrai que la vérité sort toujours de la bouche des enfants ?
Par Coline LEROY, vue par Toscane CHOVÉ, Courtesy of Cie ROSAROSÉ, Didier MONGE et Martin LECALVE
Les préceptes enseignés par le Petit Prince subsistent et parfois, se transforment en rites.
Pour Guillaume Arduin, directeur de la Cie Rosarosé et Camille Baubeau, interprète du Petit Prince, mettre le plus célèbre des enfants en scène et le faire marcher était peut-être bien une évidence.
Guillaume Arduin par Toscane Chové
Coline Leroy : Comment t’est venu le théâtre ?
Guillaume Arduin : J’ai découvert le théâtre un peu par hasard et ce fut un véritable coup de foudre. C’était une rencontre intense, comme un amour de vieillesse. Après le COVID, je me suis dit que c’était le moment de prendre des risques alors je suis entré à l’École du Jeu pendant deux ans où j’ai notamment rencontré Camille (interprète du Petit Prince) et c’est là que l’idée d’une compagnie a germé.
CL : Adapter un texte qui, à la base, n’est pas forcément conçu pour le théâtre, comment ça se passe ?
GA : Honnêtement, comme c’est la première fois que je fais ça, je ne sais pas s’il y a une règle absolue. Moi, je suis parti du texte original et je me suis demandé comment le rendre vivant sur scène. J’avais déjà vu une adaptation du Petit Prince où la narration était très présente, on perdait l’instantanéité, l’énergie du jeu. Donc, mon parti pris a été de supprimer autant de narration que possible en misant sur le décor, les acteurs et leur jeu pour transmettre ces éléments. L’idée était de garder l’essence du texte, notamment les dialogues, et de laisser le théâtre faire le reste.
Guillaume Arduin par Didier Monge
CL : On ressent dans votre projet une dimension très collective, presque familiale. Travailler avec des amis, c’était une volonté dès le départ ?
GA : Au début, on n’a pas forcément le choix. Quand on se lance dans un premier projet, il faut un cadre de confiance, surtout quand, comme moi, c’est une première expérience. Travailler avec des personnes que je connaissais déjà, avec qui j’avais partagé deux ans de formation, me rassurait. C’est marrant que tu parles de famille, parce que je ne l’avais pas forcément vu comme ça au départ. Mais avec le temps, je pense qu’il y a effectivement quelque chose de cet ordre-là.Et puis il faut être patient. Tout est changeant. Tu peux attendre très longtemps entre les prises par contre, au moment où on a besoin de toi, il faut être très réactif. Tu peux ne rien faire de la journée et puis tout à coup, tac, c'est à toi.
CL : Finalement, au-delà du projet artistique, il y a une véritable aventure humaine derrière cette troupe.
GA : Complètement. Et c’est aussi pour ça que Le Petit Prince me touche autant : il parle des liens qu’on crée avec les autres.
Le théâtre est un monde très différent de celui de l’entreprise, d’où je viens. C’est un milieu où il est plus difficile de gagner sa vie, où tout repose sur un engagement total. Alors, autant le faire dans un cadre où l’on se sent bien, où l’on peut se dire les choses en toute confiance.
Camille Baubeau par Toscane Chové
CL : Et toi Camille, comment en es-tu venue au théâtre ?
Camille Baubeau: J’ai toujours voulu en faire. Petite, j’ai pris des cours avec une prof géniale, mais j’avais un appareil dentaire et je zozotais. Elle m’a dit que ce ne serait pas possible pour moi. Désillusion.
J’ai ensuite voulu faire du cinéma, mais les castings étaient payants et ma mère a refusé. Alors, comme beaucoup de ma génération, j’ai pensé à l’architecture : un métier manuel et un peu artistique. Mais je ne savais pas dessiner et j’étais nulle en maths. Nouvelle désillusion.
Alors je me suis tournée vers le droit, un choix « sûr ». Puis il y a eu le confinement, une perte de foi en l’avenir… Je me suis demandé pourquoi faire 10 ans d’études si c’était pour ne plus être vivante dans 10 ans ? (Rires) Très optimiste comme vision…
C’est à ce moment-là que je suis retournée au théâtre. Une directrice de casting m’a repérée dans la salle et m’a proposé un casting sauvage. Là, je me suis dit : « Ok, il faut que je m’y remette. »
J’ai fait un stage au Cours Florent, puis j’ai choisi l’École du Jeu. J’y ai découvert une vraie passion, même si je faisais encore des études à côté. Un jour, j’ai appelé ma mère et je lui ai dit : « C’est ça que je veux faire. » Ça me faisait vibrer comme rien d’autre.
Camille Baubeau par Pascal Monge
CL : Vous aviez un plan B ?
CM : Oui ! Je m’étais dit : « Si au bout de deux ans ça ne fonctionne pas, je retourne en droit. » Mais à ce moment-là, j’ai intégré la Classe Libre du Cours Florent… alors j’ai continué.
CL : Vous avez aussi une appétence pour le cinéma ?
CM : Oui, bien sûr ! Mais pour l’instant, mes projets sont dans le théâtre, avec Le Petit Prince et un autre projet au sein de la compagnie. Après, je ne sais pas… Peut-être que j’adorerai, peut-être que je détesterai, comme l’architecture et le droit ! (Rires) Mais oui, dans l’idée, ça me plairait beaucoup.
CL : Le Petit Prince est un monument pour l’enfance et l’adulte, il y a une pression qui vient avec le rôle ?
CB : Oui, forcément ! Déjà, parce qu’à l’école de théâtre, on nous répétait que l’un des rôles les plus difficiles à jouer, c’était un enfant. Donc quand on me l’a proposé, je me suis dit : «Merde, un enfant, vraiment ?»
Sur le moment, c’était surtout de l’excitation, une immense joie. Mais en travaillant le rôle, j’ai compris la difficulté. Et puis, quand on a commencé les premières représentations, j’ai réalisé que je ne pourrai jamais satisfaire tout le monde. Chacun a sa propre vision du Petit Prince.
Le fait que je sois une femme joue aussi. Il y a toujours cette petite voix qui se demande si ça colle avec l’imaginaire collectif. Et puis, jouer devant des enfants, ce n’est pas évident ! Ils ne sont pas le public le plus indulgent, mais ils sont sincères et c’est génial.
Aujourd’hui, après un an et demi de travail, je commence tout juste à vraiment trouver *mon* Petit Prince. C’est un processus long, parce qu’il ne faut pas tomber dans la tentation de donner aux gens ce qu’ils attendent absolument. On a essayé, et ce n’était pas une bonne idée ! Mais petit à petit, le personnage se dessine…
Camille Baubeau par Pascal Monge et Martin Lecalve
CL : Pour vous, c’est quoi le théâtre ?
CB : Tout. (Rires.)
GA : C’est devenu le centre de beaucoup de choses pour moi. Même quand je ne travaille pas directement dessus, j’y pense, ça occupe mon esprit. Mais au-delà de l’aspect personnel, je vois le théâtre comme un espace de lien.
Je viens d’un milieu très froid, où l’on passe des heures derrière un écran sans réellement interagir. À l’inverse, le théâtre, c’est un endroit où l’on se réunit, où l’on partage une expérience vivante. Rien que le fait de ressentir une émotion aux côtés d’un inconnu dans le public, ça crée un lien, même silencieux. Et si, un jour, les spectateurs sortent d’une de nos pièces et commencent à échanger entre eux, ce serait génial.
Compagnie Rosarosé
Théâtre du Funambule, Montmartre
Du 25 janvier au 16 mars 2025
Par Coline Leroy, 7 février 2025