SEVERUS SNAPE, FASHION ICON?
Par Ariane SAJOUS, vu et dessiné par Ariane SAJOUS
Ariane décrypte pour Somare les codes et références mode des grands personnages de la Pop Culture. Berlin, prêtre, SM, vampires sexy: Severus Rogue est-il une fashion icon?
Il faut que je l'avoue ; j'ai eu une obsession pour Snape dès Harry Potter à l'école des sorciers (2001). Et je ne suis pas la seule ; il suffit d’une recherche internet pour découvrir qu’il a alimenté de nombreux fantasmes à base de fanfictions et d’obscurs montages YouTube. Il semble être l'évolution -version sorcier - du poète ténébreux et incompris du lycée, celui qui gribouille des notes sur ses livres, qui a les cheveux sales, le teint blafard et une obsession pour la new-wave.
Il y a quelque chose de très maniéré chez lui ; les manches trop longues qui tombent sur ses doigts, un dégradé noir corbeau et deux mèches folles qui encadrent dramatiquement ses yeux, des gestes vifs et théâtraux, une voix rauque, une diction acérée... Snape, c'est un mélange d'élégance pointue (il a une sorte de Rachel haircut qui se décoiffe au fil des films, sa longue robe avec cape lui fait une silhouette trop dramatique pour ne pas être mode, et le monochrome noir des cheveux aux chaussures est toujours un statement), mixé à une aura de weirdo timide, sombre et solitaire, qui veut passer inaperçu dans son uniforme bizarre.
C'est là toute la complexité du personnage, perçu comme un grand méchant jusqu'à ce qu'on comprenne pourquoi, ou plutôt pour qui il a côtoyé les rangs les plus obscurs du monde des sorciers, et à quel point il s'est sacrifié par loyauté, quitte à parfois se faire happer par la spirale malfaisante de Voldemort.
Cette ambivalence, elle se lit dans son vêtement ; ce long habit noir au col haut évoque le prêtre catholique ettoute la rigueur qui va avec. Snape n'a qu'une foi absolue, qu'une destination qui motive ses actes ; celle d'honorer lamémoire de Lily. Il porte à jamais le symbole de son deuil. Son rapport à la punition est religieux, il distribue des sanctions aux étudiant.e.s qui brisent les codes de sa morale puritaine et il porte une attention particulière à l'élu Harry, avec qui il entretient un rapport conflictuel mais qu'il se jure de protéger, tel un apôtre (ce qui vire parfois au harcèlement).
Sous cette discipline quasi fanatique se cache (mal) le revers de la médaille ; n'oublions pas que Snape est professeur de potion, mais que le titre qu'il désire le plus est celui de professeur de Défense contre les Forces du Mal,qu'il finira par obtenir. Il a une attirance irrésistible pour la magie noire, et bien qu'il faille connaître son ennemi pour mieux le combattre, il serpente dangereusement entre les ténèbres et la lumière durant toute la saga. Il est d'ailleurs assez évident que son teint blafard, sa cape sombre et ses cheveux noirs de jais lui donnent une aura de vampire, créature personnifiant le roman gothique. Dans Harry Potter et les reliques de la mort – partie 2, on peut le voir fuir en se métamorphosant soudainement en chose volante, exactement comme Dracula se transforme en chauve-souris.
Snape incarne la complexité d'exister dans un monde manichéen. Fréquemment, il semble sur le point de succomber au mal, et dites-moi si je vais trop loin, mais ce côté SM, je le retrouve dans la longue boutonnière qui chemine de son cou au bas de sa robe, sur ses manches et sur le bas de son pantalon. Une rangée de boutons, c'est trop fétichiste pour être là par hasard, surtout sur un vêtement dont c'est l'un des seuls détails, et surtout, surtout si c'est AlanRickman lui-même qui a eu l'idée d'ajouter ces boutons sur le costume. Cette manière de ne montrer que si peu de peau pour la suggérer évoque les tenues en latex, le vêtement devient objet fétiche qui contrit le corps jusqu'au bout des manches.
En écrivant cet article, j'ai tout de suite pensé à cette scène de Mademoiselle (Park Chan- Wook, 2016) danslaquelle Sook-Hee défait l’interminable boutonnière de la robe de sa maîtresse Lady Hideko, et se dit ;
« En effet, les demoiselles sont les poupées des servantes. Tous ces boutons sont là pour mon plaisir. Je défais les boutons et dénoue les lacets. À l'intérieur, il y a une chose toute sucrée. »
Avec Snape, on aborde pas vraiment le sujet de la sexualité. Il n'y a qu'une intrigue amoureuse qui le concerne,et elle n'est pas réciproque. Lily l'obsède, puis elle décède, et est ainsi sanctifiée en amour tragique et éternel carimpossible («Always»). La dimension sadomasochiste est romantique avec lui, et parle plus de rapport douloureux à l'amour et à la vie que de sexe.
Snape, c'est une icône gothique, un prince noir qui a le cœur qui saigne.
Le prisonnier d'Azkaban sort en salles en 2004, film dans lequel on a le plaisir d'assister à une scène importante pour l'imagerie du personnage dont vous vous souvenez sûrement ; lorsque Neville fait appel à son épouvantard durant le cours de défense contre les Forces du Mal du professeur Lupin, c'est Snape qui sort de l'armoire. Terrifié, l'élèveparvient tout de même à lancer le sort Riddikulus, et notre gothique préféré se retrouve attifé avec les vêtements de la grand-mère de Neville.
C'est l'unique fois où l'on peut voir Snape dans un costume différent de son monochrome noir. La saga a vu se succéder trois costumières ; Judianna Makovsky sur le premier film, Lindy Hemming sur Harry Potter et la Chambre des secrets, puis Jany Temime qui a travaillé sur l'entièreté des films restants à partir d'Harry Potter et le prisonnierd'Azkaban. Ce troisième film est considéré comme le premier opus dark de la série, et Jany Temime a remanié la plupart des costumes dans cette optique-là. En ce qui concerne Snape, les mots de Jany sont très parlants ;
"I never changed Professor Snape", "It was perfect. When something is perfect you cannot change it. Why should you change it? It was him. And he never changes, Professor Snape."
Donc la seule occasion de voir Snape habillé différemment, c'est lorsque ce n'est pas vraiment lui, mais une projection mentale/magique de lui. Si J.K. Rowling avait pour intention de le ridiculiser en l'habillant avec des vêtements perçus comme féminins, c'est raté. On connaît tous.tes les positions abjectes de l'autrice sur la question du genre. Or, Snape est fabuleux en ensemble vert et chapeau à plumes. D'ailleurs, Alexander McQueen semblait l'avoir remarqué si on se penche sur sa collection Automne 2006 en prêt à porter, seulement deux ans après la sortie du film en question.
Snape et la haute couture, parlons-en en se penchant sur les créateur.ices contemporain.es aux films (2001-2011). Je me suis concentrée sur certains éléments qui selon moi font l'essence du costume de Snape ; le monochrome noir, le vêtement très couvrant, le col haut, les manches trop longues, les pieds recouverts par le pantalon, la boutonnière, la cape. Malgré ces contraintes, j'étais étonnée de trouver autant de matière. Sans évidemment dire que Snape a été une influence majeure dans la mode des années 2000-2010, il est clair qu'on y trouve un goût prononcé pour le dark, et un jeu certain avec les codes gothiques et romantiques.
Si on commence chez celleux qui ont déjà un penchant pour le noir et les influences victoriennes, on trouve beaucoup de choses. Chez Yves Saint Laurent, on s'amuse avec le costume d'époque aux connotations religieuses ; on retrouve la longue boutonnière, le petit col haut, et les manches qui couvrent jusqu'aux doigts. Louis Vuitton également cache les mains, cette fois sous des capes qui donnent à la silhouette une allure vampirique. Sans surprise, c'est chez McQueen qu'on trouve le plus de choses ; des manteaux longs, des capes, des pantalons qui tombent et plissent sur lepied, des boutonnières à foison et un esprit très SM. Evoquant presque parfois le déguisement, les vêtements enveloppent le corps dans un écrin luxueux. On croit voir les vampires les plus stylés de la ville arriver à leur soirée libertine habituelle.
Chez d'autres, j'ai vu se dessiner un Snape du futur, où les formes se simplifient, se géométrisent. Chez Rick Owens notamment, on retrouve quasiment tous les éléments demandés dotés d'un twist futuriste ; les bottes noires métallisées se plissent dramatiquement sur le pied, les manches couvrent les mains, la boutonnière est remplacée par une fermeture éclair, les cheveux longs imitent ceux de Snape en couvrant les yeux. Les proportions restent les mêmes mais déstructurées, avec un jeu sur les manteaux longs et des jupes superposées sur les pantalons.
La collection 2008 FALL d'Yves Saint Laurent nourrit cette même tendance de gothique moderne, les yeux sont cachés cette fois sous les bobs noirs très chics, les manches sont longues et couvrantes, munies parfois d'un passe-pouce, détail souvent relié à l'adolescence ou aux vêtements de sport mais qui trouve ici sa place en un ornement inattendu et élégant. On retrouve ces manches chez Chanel, revisitées cette fois-ci en mitaines.
Gareth Pugh propose des créatures maléfiques de science-fiction. Dans un mélange très bien dosé, on retrouve un espritSM dans les matières brillantes, les make up et le détail que j'adore ; les ongles longs manucurés qui dépassent des manches tombantes, qui évoquent les doigts si maniérés de Snape. Les collections 2010 FALL et 2011 FALL sont une subtile alchimie de Matrix et de prêtre surnaturel ; on y trouve toujours la silhouette cintrée au col haut, les pantalons longs couvrants et le manteau mi-cuisse. Cette fois ci on se croirait en boîte techno vampire à Berlin.
Difficile de passer à côté du professionnel du noir, Yohji Yamamoto. Chez lui le noir est cool, naturellement élégant sans trop d'effort. Le Snape Yamamoto est décontracté, il a accepté sa part d'ombre. Encore une fois, tout y est ; les cols hauts, la silhouette élancée, les manches trop longues du costume oversize, le pantalon légèrement cassé sur la cheville, on y trouve même les cheveux lisses et bruns. Ici, Snape est le jeune homme classe et un peu prétentieux qu'iln'a jamais eu l'occasion d'être, c'est le weirdo qui s'en fou qu'on le voit comme un weirdo, et qui cultive cette étrangeté. Les vêtements sont d'un noir profond, simples avec des détails qui font la silhouette, comme le col mao ou les fioritures qui longent le manteau. Les boutonnières sont totalement ouvertes ou n'ont que quelques boutons de fermés dans une nonchalance très séduisante.
Idem chez Comme des Garçons où les boutonnières sont déstructurées, les vêtements un peu moins près du corps que chez Snape apportent une classe un peu moins guindée, les manches tombent sur les mains voire les cachent entièrement. En 2011 FALL et SPRING la longue veste est remplacée par un trench pour une allure très française. La pudeur et la timidité sont toujours présentes, mais assumées et rayonnantes. On retrouve le même esprit chez Yves Saint Laurent FALL 2007, où l'oversize permet des silhouettes à la ligne claire et très efficace. Les manches, comme toujours, couvrent les mains, et la cheville est encore une fois enveloppée, cette fois ci ingénieusement avec des chaussettes épaisses plissées dans des ballerines, détail très intéressant qui conserve la dimension contrite et près du corps qu'on observe chez Snape. Prada également recouvre le pied avec des bas épais, pour une silhouette moderne aux inspirations vintage. Chez Karl Lagerfeld, les bottes tombent sur la cheville en un amas de plis et l’allure est élancée et élégante. Ici, Snape est parisien et va soigner sa gueule de bois avec un brunch à son café préféré.
Bref, pas étonnant donc que Snape ait marqué les esprits. Il incarne le goût marqué pour le gothique romantique qui a traversé les années 2000-2010. Son vêtement est iconique parce qu’il est très simple tout en évoquant beaucoup de choses, il parle pour lui.
J’espère vous avoir convaincu que Snape a bien mérité le titre de fashion icon qu’il a dans mon cœur, et à la prochaine pour une nouvelle analyse stylistique de l’un des personnages les moins bien habillés de l’histoire de la pop culture <3
Par Ariane SAJOUS, 19 octobre 2024